dimanche 23 août 2009

J'ai vécu l'enfer de Corée (1951): Les entrailles de Fuller

Ce documentaire sur Samuel Fuller m'a rappelé cette analyse de l'intro d'un de ses 1ers films, J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet) :


Pour son troisième film, Samuel Fuller quitte l'Amérique sans pour autant délaisser les Américains, puisque désormais plongés en pleine guerre de Corée. Un sujet proche de l'expérience du réalisateur, qui quelques années auparavant était encore un de ces soldats de la Seconde Guerre Mondiale (expérience qu'il racontera plus tard dans The Big Red One, Falkenau).

Mais c'est aussi un sujet propice dans une époque de Guerre Froide où débute le Maccarthisme et sa chasse aux sorcières. La guerre de Corée représente le combat de la liberté contre les forces rouges. Vision binaire et simpliste que Fuller va s'appliquer à désamorcer dès son introduction, s'intéressant à l'Homme et ses sentiments plutôt qu'aux races et aux idéologies.

Sous un casque plombé (unique fond du générique) se cache le (sergent) Zack, seul survivant de son unité, miraculeusement sauvé par son casque en fer des ricochets d'une balle censée être tueuse [Dans Baïonnette au canon, l'acteur Gene "Sergent Zack" Evans n'aura pas cette chance].

Un ton lourd est imposé d'entrée via la musique alors qu'en gros plan Zack se réveille et regarde autour de lui (ici, peu importe le grade où l'expérience du bonhomme, c'est un soldat : il a un casque et il guette). À ce moment-là, nous ne savons rien de la situation du personnage et encore moins ce qu'il regarde, difficile aussi de savoir la raison du trou dans le casque, est-ce la manie d'un vétéran ou non ? [réponse donnée un peu plus tard]

Changement d'échelle du plan, permettant de mieux situer Zack par rapport à son environnement et à sa propre situation personnelle (son corps est visible). Fuller fait durer le regard de Zack, façon de maintenir le doute, avant qu'il se décide à avancer. Première surprise, l'homme est en difficulté, un mauvais signe pour la suite (est-il sain et sauf ?).

Sans couper, Fuller suit la difficile avancée de Zack, une progression dramatique aidée par une musique se faisant plus grave. Pourquoi ? On découvre les cadavres d'autres soldats en même temps qu'on découvre la raison du handicap de Zack, il est attaché (et non blessé comme on aurait pu le supposer). La caméra continue de reculer et l'on remarque qu'après le second cadavre, Zack semble avoir aperçu quelque chose d'important vers lequel il va se diriger.

Quelques secondes plus tard, Fuller nous montre l'objet, c'est un couteau. Finalement tout parait s'arranger plutôt bien, Zack va pouvoir se libérer. Mais, sa progression s'arrête soudainement et il fait le mort, le couteau à peine à quelques centimètres de lui. Pourquoi ?

Pieds nus et armée, quelqu'un se rapproche doucement mais sûrement. L'arme tout comme l'accoutrement modeste (à l'inverse des soldats américains morts ou pas) font peser un danger, on assimile cette personne à un ennemi.

Nous découvrons en gros plan le visage de Zack posé sur le côté. Une expression dramatique nous confirme qu'il est en danger. On peut entendre les pas de la personne.

La gravité de la musique s'intensifie à mesure que la personne s'avance. Il n'y a plus de doute possible, c'est un ennemi qui risque de tuer Zack.

Retour au gros plan sur le visage de notre soldat rescapé, transpirant et inquiet (la musique retrouve sa douceur). L'intérêt du gros plan c'est de vraiment nous plonger dans "l'univers" (la tête) de Zack après l'avoir vu difficilement avancer (notre compassion ?).

Fuller permet aussi de mettre un visage sur ce corps en difficulté ("humanisation" appuyée par ses expressions faciales). La répétition de ces plans fait qu'on s'intéresse à la situation du personnage, son inquiétude entraîne une pression, un doute : que va-t-il lui arriver ?

Et l'ennemi s'avance encore, le plan est plus court, il arrive à hauteur de Zack. La tension va être à son maximum.

L'ennemi est devant le corps de Zack, il l'observe comme en témoigne le bout du fusil parcourant le visage de l'américain. Toujours en gros plan, Fuller fait se rencontrer les deux personnes, renforçant l'ombre du danger, notre inquiétude.

Horreur ! Cette personne est un gamin coréen ! Afin d'amplifier le choc, Fuller fait se répondre le fusil (la menace) au regard froid de l'enfant (innocence).

On retrouve le plan sur fusil proche du visage, il n'est plus au-dessus, l'enfant n'est plus dans une phase d'observation. Il semble donc que l'enfant ait compris quelque chose. Est-ce un bon signe ? Est-ce qu'il va le tuer ? Fuller maintient le doute.

Horreur ?? Fuller nous renvoi à la situation de découverte du couteau. L'enfant vient de remarquer l'arme blanche, il pose son fusil et se penche sur le corps, d'un mouvement rapide la caméra s'approche de Zack (sous pression). Le danger change de forme, il n'y a plus la distance froide d'un fusil, il y a maintenant un rapport physique et horrible apporté par la présence du couteau. Est-ce que l'enfant est un sanguinaire ? À noter l'ambiguïté du plan qui au départ symbolisait la liberté, et semble maintenant prendre une connotation inverse. Effet renforcé par les mouvements de caméra avant (sur le casque de Zack) et arrière (retour au plan normal), Fuller joue de la signification du plan et de mouvements qui amènent l'instabilité, et donc l'incertitude (pour nous comme pour Zack).

Mais voilà, le mouvement arrière nous rassure, l'enfant empoigne le couteau après avoir retourner le corps de Zack pour... le détacher. Dès que la corde est coupée, la musique s'arrête brutalement, et la situation retrouve son calme. Fuller se permet même un mouvement avant sur le visage du gamin comme pour stigmatiser notre doute, notre inquiétude que l'innocence allait agir violemment (ensuite il y a une coupure, et sur le plan suivant est illuminé par le sourire et la bonne humeur du gamin).

CONCLUSION!
Avec cette introduction, Samuel Fuller retourne nos peurs et arrive très rapidement à donner de l'humanité à des personnages alors même qu'ils n'ont rien dit. Dans un premier temps, il construit ses personnages uniquement en exploitant une narration visuelle et surtout émotionnelle (et plus tard, il confrontera les paroles, émotions et réalité "visuelle" pour faire véritablement exploser les sentiments des personnages, à commencer par Zack qui vers la fin, lors d'un resserrement en gros plan, voit tout ce qu'il construit - espoirs, amitié - s'effondrer soudainement = magnifique).

Néanmoins, cette situation de départ est vite relativisée dans la scène suivante, et si les apparences peuvent parfois apporter de bonnes surprises, elles peuvent aussi masquer de véritables horreurs. Fuller n'idéalise pas la guerre (dans la dernière partie du film, il matérialisera humainement un soldat communiste, coincé dans sa logique de conflit mais soulignant quelques détails pertinents - l'ennemi possède aussi une raison).

1 commentaire:

  1. Hello Bob !
    Mazette ! enchantée que mon tout petit post t'ait permis de décortiquer... je ne suis pas assez patiente pour ce genre de jeu.
    A une prochaine
    :)

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